Montréal, le 18 novembre 2021 – Dans une lettre ouverte « la survivance insupportable des trains », le nouveau porte-parole du Centre de Ressources pour Hommes de Montréal invite les Québécois à se mobiliser pour faire changer les comportements masculins traditionnels.
La survivance insupportable des
trains
Nous sommes à bord d’un train qu’il faut faire dérailler. Il est en marche depuis des siècles. L’intérieur de ce train est étroit, anxiogène, toxique.
Depuis
des années j’ai l’impression d’y avoir échappé, de ne pas participer à sa
survivance, de lui faire des doigts d’honneur les deux pieds sur un terrain
vague, à l’air frais. Mais. Je suis bel et bien à bord de ce train. Assis
quelque part, à l’arrière.
Il
y a quelques semaines je suis allé cueillir des pommes avec mes enfants. Il y
avait une petite grange à l’intérieur de laquelle il y avait toutes sortes de
vélos. Un homme et une femme sont entrés avec leur petit garçon, la mère a
assis son fils sur le seul vélo approprié à son âge et à sa motricité; un petit
tricycle mauve avec des froufrous roses accrochés au guidon. L’homme a foncé
sur son fils, l’a immédiatement écarté du vélo
et
quand je l’ai entendu dire à sa femme « franchement crisse c’est un
bicycle de fille » je n’ai rien dit.
Je
suis bel et bien à bord du train.
L’été
dernier j’étais dans un souper de famille, c’était la frénésie, on ne s’était
pas vu depuis des lustres, les enfants couraient partout, c’était la fête.
Quand j’ai entendu deux pères avouer leur crainte que l’un de leurs garçons soit homosexuel, quand je les ai entendu dire « je l’aimerais quand même mais me semble que j’aurais de la misère oui c’est ça moi aussi » je n’ai rien dit.
Je
suis bel et bien à bord du train.
Il
y a quelques années j’ai fait partie de la distribution d’un spectacle
extraordinaire, épique et poétique. Nous étions plusieurs hommes sur scène et
quand, après les représentations, j’en entendais faire des concours à qui
« mangerait le plus de culs » dans la place, quand j’en ai entendu un
dire « moi je leur mangerais toutes la plotte » je n’ai rien dit.
Je
suis bel et bien à bord du train.
Je
crois que nous sommes tous, au fond, encore à bord de ce train. Que nous
participons tous, au fond, encore à son insupportable survivance. Nous n’avons
qu’une toute petite idée de la vie vaste, luxuriante, généreuse, qu’il y a
partout ailleurs, à l’extérieur des wagons. Et. Et je me demande : Serons-nous
ces hommes courageux qui manigancerons le déraillement de ce train pour, enfin,
être libres. Et justes. Et infiniment plus reluisants.
Serons-nous
ces hommes courageux qui imposerons des masculinités de non-domination,
égalitaires, affranchies des vieux stéréotypes qui persistent.
Quoi qu’on en dise, peu importe que les choses aient commencé à changer lentement, le train est encore en marche. Le courage commence dans la parole. Et se taire, c’est rester assis quelque part dans un wagon
derrière.
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Steve Gagnon est écrivain, acteur, metteur en scène et le nouveau porte-parole du CRHM.